En didactique, la réflexion sur les formes de renouvellement de l’enseignement de la poésie n’est pas nouvelle : déjà, en 1995, J.-Y. Debreuille en envisageait des pistes. Depuis 2010 au moins, cette réflexion s’est notamment nourrie de travaux envisageant la spécificité de la réception subjective du lecteur de poésie (Rannou, 2010), abordant de nouvelles formes poétiques, que ce soit l’album-poème ou le slam (Boutevin, 2016 ; Émery-Bruneau, 2015). Elle s’est également enrichie d’analyse d’expérimentations envisageant de nouvelles pratiques ancrées dans des contextes empiriques divers (Martin, 2010 ; Brillant Rannou, 2015 ; Brillant Rannou, Boutevin et Brunel, 2016). Plus spécifiquement, certaines recherches portent sur la dimension orale de la poésie : elles explorent de nouvelles approches didactiques (Brunel et Émery-Bruneau, 2016 ; Dolz et Gagnon, 2016 ; Le Goff, 2018) ou envisagent l’intégration scolaire d’œuvres poétiques contemporaines, qu’il s’agisse du slam (Vorger, 2012), de performances poétiques (Cabot, 2015), ou encore d’œuvres poétiques numériques en vidéo (Massol, 2018). Pourtant, il semble que la prise en compte de la dimension orale de la poésie évolue peu dans les pratiques (Brunel, 2016) et reste fortement associée, du moins en France, à l’exercice traditionnel de la récitation (Chervel, 2006 ; Louichon, 2009) qui symbolise une forme de résistance à l’évolution des pratiques. C’est pourquoi il paraît légitime d’envisager le renouvellement de ces pratiques, des démarches de formation et de diffusion nouvelles.
C’est dans ce contexte que nous situons notre recherche : en cherchant à tirer profit de la richesse de pratiques artistiques contemporaines (Zumthor, 1987, Vorger, 2016) et des travaux de recherche en didactique de la poésie mais en prenant également la mesure d’une forme de résistance et de conservatisme de la pratique de la poésie, nous avons envisagé de prendre appui sur un dispositif de recherche-action-formation pour accompagner un renouvellement dans les pratiques enseignantes.
Nous nous proposons, dans cet article qui constitue la première étude sur l’expérimentation menée, d’étudier les conceptions didactiques élaborées par les enseignants ayant bénéficié du dispositif de formation en analysant particulièrement si celles-ci manifestent une appropriation scientifique et didactique ou encore une forme de créativité professionnelle. Pour cela, nous comparerons les choix didactiques et pédagogiques manifestes dans la construction de la séquence aux différents apports et expériences qui ont nourri la formation.
1. Apport des recherches littéraires et didactiques
1.1 Les pratiques artistiques de poésie orale : slam et performances poétiques
Plusieurs travaux étudient la spécificité des pratiques poétiques orales contemporaines créatives, qu’il s’agisse du slam (Paré, 2015 ; Vorger, 2011) ou des performances poétiques (Pénot-Lacassagne et Thévar, 2018). Ainsi, Lacassagne et Thévar soulignent la spécificité de cette forme artistique, qui, tout en se rapprochant des autres arts de la performance, théâtraux ou plastiques, présente une voie propre. Ils soulignent en outre l’hybridité de ses formes et la grande variété de ses dispositifs, souvent médiatisés par des ressources technologiques sonores, visuelles ou numériques. Orientant ses recherches sur le slam, C. Vorger propose une poétique du slam (2011, p. 184), considéré comme une réinvention d’une « orallittérature » (Diamanka et Barret, 2012) qui puise dans les ressources linguistiques, notamment lexicales (Vorger, 2011, p. 273), sonores et rythmiques de la langue mais aussi dans les ressources vocales, corporelles et cinétiques (Paré, 2015) du slameur.
Le slam et les différentes performances poétiques orales présentent plusieurs traits communs : elles se caractérisent, ainsi que le définit Zumthor (1990), par la part centrale dévolue à la voix et au corps au sein d’une production artistique réalisée dans un contexte qui confond l’espace-temps de la production et celui de la réception. Vorger insiste sur la dimension « ancrée » et « adressée » du slam, soulignant le fait que cette orientation se concrétise dans les spécificités linguistiques, pragmatiques ou sonores du texte même. De cette attention à la réception découle une valorisation particulière du rôle de l’auditeur, déjà soulignée par Zumthor : au sein même de la performance poétique, celui-ci reconfigure intérieurement le poème dans un processus proche de celui que décrivent les didacticiens de la réception à propos de la lecture et de la spectature1 (Langlade, 2008 ; Mazauric, Fourtanier et Langlade, 2011).
1.2 Expérimentations innovantes d’enseignement de la dimension orale de la poésie
Prenant acte de la forte prégnance de pratiques sédimentées dans l’enseignement de la dimension orale de la poésie et de la permanence d’un corpus resserré, plusieurs recherches ont souhaité proposer des dispositifs expérimentaux innovants afin d’analyser comment ceux-ci pouvaient faire évoluer les pratiques et favoriser de nouveaux apprentissages.
Une première piste vise à former des « sujets auditeurs et performeurs » (Émery-Bruneau et Brunel, 2016, p. 200) dans la continuité des travaux sur la lecture de poèmes (Meschonnic, 1989 ; Brillant Rannou, 2010 ; Martin, 2010). Émery-Bruneau et Brunel soulignent ainsi que les situations d’écoute sont saisies par les élèves et les enseignants comme des espaces de liberté, stimulant notamment la concrétisation imageante (2016, p. 200).
Une seconde piste (Le Goff, 2018) s’oriente sur la force immersive de l’oralisation de poèmes que F. Le Goff nomme, en référence à L. Jenny (2010), « immersion lyrique ». Ses analyses montrent que l’activité de mise en voix se prête à une activité fictionnalisante (2018, p. 2). Il souligne également l’intérêt du dispositif collectif qui libère les participants et déconstruit des formes prévisibles de lecture.
Une troisième piste concerne les savoirs et les compétences spécifiques enseignés dans le cadre de l’étude de corpus poétiques oralisés ou performés : les travaux de Gagnon et Dolz (2016), ou ceux de Émery-Bruneau et Pando (2016), rappellent en effet qu’au-delà de la poétique spécifique du texte (son rythme, sa dimension sonore, ses inventions lexicales et sa puissance évocatoire), la poésie en voix repose sur des dimensions liées à la performance du sujet. Les enseignants peuvent ainsi s’appuyer sur des travaux de recherches qui répertorient les ressources prosodiques de la voix et celles de la communication non verbale.
1.3 Faire évoluer la formation pour accompagner l’évolution des pratiques
Mais le renouvellement des pratiques enseignantes est également lié aux contenus de leurs formations : ainsi, Ceysson souligne la nécessité, dans la formation universitaire et professionnelle des enseignants, d’une prise en compte des enjeux de la poésie contemporaine : « La formation universitaire à tous les niveaux prépare-t-elle à la réception du rap ou du slam, de la poésie sonore, du spatialisme, ou plus simplement à la mise en voix et en espace du poème ? » (2006, p. 7). Il propose de faire évoluer ses contenus en apportant des connaissances sur les enjeux et les formes de la poésie contemporaine mais également en approchant le poème « autrement que par le commentaire : par une réception plus créative, plus ludique ou problématisante du contemporain » (2006, p. 7).
La recherche de J. Émery-Bruneau (2020) prolonge la réflexion sur l’évolution des pratiques pour la formation des enseignants :
Si les enseignants demeurent pour la plupart dans des pratiques d’enseignement traditionnelles, c’est peut-être parce que la formation qu’ils ont reçue reste insuffisante pour transformer leur manière de travailler la poésie en classe. Partant, pour former des enseignants amateurs de poésie, qui se sentiront plus à l’aise de l’enseigner, et connaisseurs, pour accompagner leurs élèves au fil de leurs expériences poétiques, la formation initiale et continue des enseignants doit manifestement être améliorée (2020, § 42).
La chercheuse souligne l’intérêt de formations impliquant davantage les enseignants-formés au travail d'ingénierie didactique permettant de « réfléchir avec eux aux espaces à donner aux expériences poétiques et aux évènements de lecture, à la manière d’en susciter, au corpus à utiliser pour y arriver ». Une approche plus collaborative, plus active de la formation serait, selon elle, de nature à permettre une transformation dans les pratiques enseignantes rattachées à des traditions fortement ancrées.
Dans cette orientation, il nous apparaît que la recherche-action-formation (Charlier, 2005) peut être considérée comme l’une des voies possibles : si ce type de formation se rattache aux recherches-actions qui permettent aux praticiens d’être acteurs afin de faire évoluer certains aspects de leur contexte professionnel, il s’en distingue en ce qu’il propose à ces acteurs de contribuer à l’ingénierie et aux différentes étapes de la recherche. La recherche-action-formation peut également permettre d’apporter une réponse à la résistance des praticiens face à l’injonction au changement, qui est inhérente à toute formation : par la coopération des différents participants à la recherche, et leur mobilisation autour de finalités d’action commune, elle renforce le sentiment d’efficacité personnelle des professionnels, les amenant par là même à développer les compétences de distance critique et leur capacité de remise en question (Dupriez et Cornet, 2005) nécessaires pour faire évoluer les pratiques.
2. Contexte et choix méthodologiques de la recherche
2.1 Le contexte d’une recherche au long cours sur l’enseignement de la poésie orale
Nos travaux s’inscrivent dans le prolongement d’une précédente recherche expérimentale (2016-2018), qui visait à proposer à deux enseignantes (une Française et une Québécoise) de mettre en œuvre une séquence d’enseignement de la dimension orale de la poésie, à partir d’un corpus de poèmes contemporains, mis en voix ou performés (Émery-Bruneau et Brunel, 2016 ; Émery-Bruneau et Brunel, 2018) selon un canevas didactique préalablement constitué. Celle-ci avait permis de repérer une évolution des conceptions de la poésie des deux enseignantes et de leurs pratiques d’enseignement, notamment du fait de la place accordée à l’écoute dans la séquence. Pour autant, plusieurs limites du dispositif étaient mise en avant : il fallait poursuivre la recherche, notamment pour envisager un meilleur développement des sujets-performeurs dans le cadre de progressions orales programmées tout au long de l’année et non réduites au seul temps de la séquence d’enseignement de la poésie (2018, p. 127). À l’issue de la recherche, une autre limite apparaissait : la mise en œuvre de la séquence ne semblait pas avoir fait évoluer durablement la pratique des professeures, qui n’avaient notamment pas eu accès à l’arrière-plan théorique de l’expérimentation.
2.2 Le choix de la recherche-action-formation
Notre projet actuel s’inscrit dans la continuité de cette première recherche et propose d'améliorer le canevas didactique en le concevant avec les praticiens au cours d'une recherche-action-formation. La formation en tant que telle a duré 18 h.
Comme dans toute recherche-action-formation, nous poursuivons à la fois des objectifs de formation et de recherche (Paillé, 1994). Sur le plan de la formation, nous cherchons à mettre en place une session permettant de développer les connaissances scientifiques et didactiques d’enseignants sur la dimension orale de la poésie et la performance ; nous cherchons également à accompagner la conception et l’expérimentation d’une séquence d’enseignement de la poésie orale. Sur le plan de la recherche, notre objectif consiste à étudier comment le groupe des participants fait évoluer la séquence et quels dispositifs innovants il fait émerger.
Nous faisons l’hypothèse qu’à travers la formation, les participants seront susceptibles de mieux mettre à distance leurs pratiques, d’assimiler et expérimenter de nouveaux concepts (tel que celui de performance par exemple), propositions didactiques et corpus et, de la sorte, nous considérons qu’ils pourront faire évoluer leur pratique durablement, car les apports de la formation auront donné lieu au cours de l’année à une mise en œuvre immédiate, et qu’ainsi, les aspects théoriques apportés (pendant les trois journées) auront pu s’incarner dans des situations professionnelles concrètes et objectivées au sein même de la session de formation (jour 3).
Le choix et l’objectif de la recherche conduisent à privilégier une approche qualitative, d’une part du fait du caractère très restreint des participants à la recherche et, d’autre part, parce nous souhaitons étudier précisément la complexité des choix opérés plutôt qu’envisager une quelconque démarche de quantification, d’ordonnancement ou de généralisation.
2.3 Le scénario de formation
La première année de la recherche-action-formation s'est déroulée en 2020-2021, dans le cadre du plan de formation des jeunes titulaires en France, qui prévoit des journées obligatoires de formation didactique disciplinaire. Dans ce cadre, les enseignants titulaires 3e année avaient le choix entre deux thèmes de formation auxquels s'inscrire (poésie orale ou ateliers d’écriture). Les enseignants n’étaient pas préalablement informés du modèle de formation dont ils allaient bénéficier. En revanche, il a été conçu en accord avec le service de formation du rectorat. Par ailleurs, il s’intègre au projet AMPIRIC, qui vise à explorer des modalités de formation innovantes.
La formation a concerné cinq stagiaires qui avaient donc fait le choix de la poésie orale et le dispositif de formation prévu leur a été présenté au début de la première journée. Celui-ci s’est développé sur trois journées, d’octobre 2020 à mai 2021. Une séance intermédiaire d’échanges personnalisés sur la séquence conçue s’est tenue après la deuxième journée de formation. Enfin, une réunion, optionnelle, pour envisager les suites à donner à la formation, s’est également tenue un mois après la dernière journée.
Pour cette communication qui vise à analyser l’appropriation par les enseignantes des contenus issus des savoirs de la recherche en littérature et en didactique et des apports culturels et expérientiels vécus en formation, nous souhaitons particulièrement mettre en évidence, dans la présentation du scénario de formation, ces aspects :
1. Journée de formation 1.
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Développement de la posture réflexive
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Enrichissement conceptuel littéraire et didactique
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Bouquet, M. (2006). Lecteur attentif, écoute mon papyrus. Dans P. Clermont et A. Schneider (dir.), Écoute mon papyrus, Littérature, oral et oralité. Principes didactiques de mise en œuvre de l’écoute et des activités orales dans les corpus poétiques.
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Louichon, B. (2009). La récitation pourquoi faire ? Cahiers pédagogiques, (474), 36-37. Mise en doute de la valeur pédagogique de la récitation.
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Mondémé, T. (2004). Poésie contemporaine et didactique. Les Actes de Lectures, (85). Pour une ouverture au corpus contemporain suscitant des réactions de lecteur.
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De Grissac, G. (2007). Des idées pour lire la poésie, Lire en fête 2007. Propositions d’évolution sur les pratiques et les choix de corpus poétiques.
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Martin, S. (dir.). (2010). Enseigner la poésie avec les poèmes [numéro thématique]. Le Français aujourd’hui, 2(169). Pistes didactiques pour l’écoute de poèmes et pour la formation d’un sujet récepteur de poésie.
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Émery-Bruneau, J. et Brunel, M. (2016). Poésie oralisée et performée : quel objet, quels savoirs, quels enseignements ? Repères, (54), 189-206. Analyse des programmes et des savoirs et des compétences nécessaires à la formation d’un sujet-auditeur et performeur.
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De Pietro J.-F., Gagnon, R., Fisher, C. (2017). L’oral aujourd’hui, perspectives didactiques (p. 11-42). Presses universitaires de Namur. Enjeux et orientations didactiques actuelles de la recherche sur l’enseignement de l’oral.
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Émery-Bruneau J. et Brunel, M. (2018). De l’écoute à la lecture créative du dire. Dans N. Brillant Rannou, C. Boutevin et G. Plissonneau (dir.), À l'écoute du poème : enseigner des lectures créatives (p. 111-128), Peter Lang. Approche notionnelle de la poésie orale, poésie oralisée et performée, sujet auditeur, diseur, performeur de poésie.
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Enrichissement culturel : pratiques contemporaines des « consultations poétiques », site du Théâtre de la cité, Paris.
2. Journée de formation 2.
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Enrichissement culturel et expérientiel : écoute et cercles de lecteurs à partir de supports d’interprétations et de performances poétiques ; choix libre de corpus (à partir de propositions découvertes à l’écrit – voir annexe)
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Enrichissement conceptuel didactique
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Émery-Bruneau J. et Brunel, M. (2018). De l’écoute à la lecture créative du dire. Dans N. Brillant Rannou, C. Boutevin et G. Plissonneau (dir.), À l'écoute du poème : enseigner des lectures créatives (p. 111-128), Peter Lang. Analyse d’une expérimentation et de ses limites.
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Gagnon, R. et Dolz, J. (2016). Corps et voix : quel travail dans la classe au premier cycle du secondaire ? Le Français aujourd’hui, 4(195), 63-76. Présentation des instruments de l’oralisation, de l’expression non verbale et de l’interprétation d’un corpus oral
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Définition des principes de la conception séquentielle à venir. Présentation du canevas de séquence didactique de la première expérimentation.
3. Séance de co-conception individualisée avec la chercheuse à partir du travail de l’enseignant en prenant appui sur le canevas de séquence.
4. Journée de formation 3.
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Bilan des mises en œuvre, analyse collaborative des documents de séquence et de séances produits, mise en commun des difficultés et réussites.
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Réécriture collective d’une version 2 du canevas de séquence didactique.
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Approfondissements conceptuels
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Vorger, C. (2012). Vous récitiez ? Eh bien slamez, maintenant ! Les cahiers de l'Acedle, 9(1).
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5. Séance de travail optionnelle sur les perspectives à la suite de la formation.
Pour cette contribution, nous avons resserré notre collecte à des données invoquées (Van den Maren, 2004) : d’une part aux séquences d’enseignement conçues et mises en œuvre par les enseignants et, d’autre part, aux contenus de formation dispensés, notamment les articles théoriques présentés, discutés et exploités. Nous faisons finalement porter notre analyse sur trois séquences d’enseignement, animées par quatre enseignants sur les cinq qui ont participé à la totalité de la formation. Cet échantillon, fort réduit, constitue certainement une limite de notre recherche, car il ne permet pas de présenter une grande diversité de documents didactiques. Cependant, il autorise un grain d’analyse plus fin, que nous n’aurions pas pu atteindre sur un ensemble plus vaste. Une autre limite de notre expérimentation est liée à notre choix de réduire l’enquête aux documents professionnels conçus par les participants : en effet, il aurait été profitable, pour analyser leur appropriation, de prendre également appui sur des entretiens permettant d’avoir accès aux représentations et aux analyses réflexives des enseignantes expérimentatrices. Nous avons pu enregistrer les sessions de co-construction de la séquence entre chercheuse et enseignante, organisées entre les journées 2 et 3, ainsi que le temps consacré à l’analyse réflexive collective des séquences de la troisième journée de formation. Nous prévoyons d’analyser et de mettre en perspective ces données avec nos premiers résultats dans la suite de l’étude.
Il aurait également été intéressant de pouvoir confronter notre recueil à une récolte de vidéos issues de la séquence effectivement réalisée dans les classes. Cependant, nous n’avons pas pu bénéficier d’une telle récolte : le dispositif de la recherche, qui n’a été contractualisé qu’au moment de la première journée de formation, n’a pas permis pas de disposer d’un temps nécessaire à l’établissement des autorisations éthiques ; surtout, l’année scolaire ayant été impactée par la pandémie de covid, l’entrée dans les classes s’est avérée inenvisageable2.
2.4 Présentation des sujets participants et de leurs séquences
Notre échantillon est composé de cinq professeures néo-titulaires de français qui enseignent depuis trois ans dans des collèges et lycées de l’académie de Nice, dans le sud de la France : deux enseignantes ont choisi de réaliser l’expérimentation sur un niveau de sixième et ont travaillé en commun sur la conception de leur séquence ; une enseignante a conduit des modules isolés du fait de son statut de remplaçante ; une autre a mené l’expérimentation dans sa classe de quatrième et une dernière sur un niveau de cinquième. Nous analysons donc finalement trois séquences complètes, dont la durée varie de quatre à six séances d’une ou de deux heures, menées dans quatres classes, pour lesquelles nous présentons quelques éléments de contexte :
Enseignantes |
Niveau scolaire |
Éléments de profil de la classe présentés par les enseignantes |
Enseignante A. |
Classe de sixième de 25 élèves |
- Classe de niveau très hétérogène ; - Huit élèves bénéficient d’un plan d’accompagnement personnalisé ; - Classe très volontaire, manifestant un très bon état d’esprit. |
Enseignante M. |
Classe de sixième de 21 élèves |
- Classe de niveau très hétérogène ; - Trois élèves bénéficient d’un plan d’accompagnement personnalisé ; - Gestion de classe parfois difficile et cadre de travail respecté de manière très aléatoire. |
Enseignante B. |
Classe de quatrième |
- Classe de niveau hétérogène dans un collège en réseau d’éducation prioritaire (REP) ; - Les élèves ont besoin d’un cadre de travail très explicite. |
Enseignante N. |
Classe de cinquième |
- Classe de niveau très hétérogène dans un collège rural éloigné géographiquement de toute structure culturelle ; - Classe ayant des habitudes de travail scolaire sur les textes (récitation, routine dans le scénario des séances de lecture). |
À partir du canevas didactique qui avait fait l’objet de la précédente recherche ainsi que de l’analyse de ses limites (Émery-Bruneau et Brunel, 2016, p. 206 ; Émery-Bruneau et Brunel, 2018, p. 126), les enseignantes ont conçu et mis en œuvre une séquence d’enseignement en cherchant à la fois à respecter le canevas3 et à améliorer des aspects qui avaient été pointés comme insatisfaisants, notamment la nécessité de favoriser un espace de compréhension et d’interprétation des textes lus avant d’envisager la phase de production, le constat ayant été fait des faibles compétences développées par les élèves lors de leurs performances poétiques.
La conception générale des trois séquences proposées par les enseignantes est synthétisée dans le tableau suivant :
Séquences – séances |
Problématique |
Compétences visées |
Corpus de poèmes oraux |
Séquence 1 (enseignantes A. et M.) « Le poète est libre » – 6 séances |
Comment atteindre la performance poétique ? |
- Apprécier la production orale, éduquer à la sensibilité ; - Écouter et identifier des instruments de l’oralisation : spécificités du langage, posture de récepteur ; - Développer une posture d’émetteur ; - Mettre en voix un texte poétique : fluidité, diction prononciation. |
- Marc Alexandre Oho Bambe, Pourquoi on part - Olivier Savignat, La poésie s’est inventée elle-même - Kerry Gladys Ntirampeba, Je proteste - Add al Malik, Gens du voyage - Cyril Dion, Nous sommes nés, interprété par Abd al Malik - Marc Alexandre Oho Bambe, Réapprendre à vivre - Grand Corps Malade, Mesdames - Mahmoud Darwich, L’art d’aimer - Baudelaire, performance scénographiée - Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, extrait, interprété par J. Martial - Paul Verlaine, Il pleure dans mon cœur, interprété par D. Mesguich |
Séquence 2 (enseignante B.) « poésie orale » – 5 séances |
Comment l’espace poétique redessine-t-il les contours de l’espace public ?
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- Comprendre et interpréter des messages et des discours oraux complexes ; - Développer une posture d’auditeur actif ; - Exploiter les ressources expressives et créatives de la parole (figure d’insistance, prosodie) ; - Dire et performer en prenant en compte son auditoire ; - Connaître les différences entre l’oral et l’écrit, connaître le lexique poétique. |
- Grand Corps Malade, Enfant de la ville - Fred Griot, Parler tout leur noir - Kerry Gladys Ntirampeba, Je proteste |
Séquence 3 (enseignante N.) « poésie contemporaine » – 4 séances |
Comment la performance orale permet-elle de créer de nouveaux horizons4 ?
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- Être capable de mettre en musique un texte par la voix : travail sur la prosodie et le rythme de la langue ; - Exploiter les ressources expressives de la langue ; - Développer et approfondir les capacités d’écoute ; - Développer une culture littéraire. |
- Marc Alexandre Oho Bambe, Pourquoi on part - Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, extrait, interprété par J. Martial - Grand Corps Malade, Enfant de la ville |
3. Les différentes manifestations d’une appropriation professionnelle
3.1 Appropriation des corpus et du genre slam
Le corpus finalement retenu par les enseignantes de notre échantillon atteste du fait qu’elles ont véritablement privilégié la dimension orale de la poésie puisqu’elles n’ont effectivement sélectionné que des poèmes oralisés ou performés, proposés dans la liste présentée lors de la deuxième journée de formation (voir en annexe 2). Deux orientations sont manifestes dans les choix réalisés.
D’une part, ont été privilégiées des œuvres de slam, que leurs auteurs soient ou non connus des élèves (Grand Corps Malade voisine avec Marc Alexandre Oho Bambe). Proches de l’univers culturel du groupe classe, ces textes ont également été choisis pour les multiples voies d’appropriation sensible qu’ils autorisent. Ainsi, comme le définit, C. Vorger (2012) « le slam se caractérise par son ouverture et son refus de se laisser “dé-finir”, enfermer dans des règles strictes et formelles » et, s’inscrivant « à la croisée des lettres et de la musique », il stimule des sensations et des sensibilités diverses. Ainsi, il peut permettre de toucher plusieurs profils d’élèves. Les œuvres slamées ou performées par les poètes ont également été retenues car elles permettent, au contraire des corpus habituellement abordés en classe, de mettre les élèves au contact d’un artiste à la fois auteur et performeur et d’attirer ainsi leur attention sur les deux dimensions du poème. Les élèves perçoivent alors mieux l’importance de cette activité artistique à laquelle, par la suite, on leur propose de se livrer. Cette médiatisation du poème à travers l’espace intermédiaire de la réception-interprétation d’un tiers, avant leur propre réception, constitue également une spécificité de la situation énonciative de la performance (Zumthor, 1987) et facilite leur appréhension : entre l’œuvre et eux, un passage est ainsi créé.
D’autre part, les choix en matière de corpus contribuent à orienter les séquences dans un objectif d’apprentissage lié à sa dimension orale : avant même de mettre les élèves en contact avec les poèmes, l’enseignante B. leur propose de visionner et d’écouter un extrait de l’œuvre musicale contemporaine City life, de Steve Reich, explorant le thème de la ville (qui fait cohérence dans la séquence). L’attention aux sons, aux émotions, constitue alors un facilitateur pour entrer dans la séquence. Les enseignantes A. et M., considérant que les textes du corpus appartiennent à différentes thématiques et semblent parfois difficilement accessibles à leurs élèves, leur ont proposé de choisir librement, selon leurs goûts, les textes qui seraient ensuite étudiés collectivement en classe. Elles ont ainsi créé une « balade sonore » : les élèves, dans le jardin du collège, ont eu accès aux textes en se promenant et en actionnant, avec leurs téléphones, des QR codes permettant d’écouter les différents poèmes. Elles soulignent qu’à travers ce choix, elles ont souhaité ne pas réduire l’appropriation des poèmes à leur compréhension.
La formation a manifestement permis aux enseignantes de découvrir un corpus qu’elles ont ensuite mobilisé, et d’orienter leur conception séquentielle sur la dimension orale de la poésie, de manière créative et adaptée à leur classe.
3.2 Appropriation de dispositifs et de savoirs pour enseigner la dimension orale de la poésie
Les trois séquences proposent, à partir d’activités d’écoute puis de production, une étude des procédés spécifiques de la poésie orale. S’appuyant notamment sur les travaux de Dolz et Gagnon (2016), les professeures ont façonné avec leurs élèves des typologies prenant en compte à la fois les spécificités d’un texte porteur d’oralité mais également les « paramètres prosodiques » qui caractérisent la voix, à savoir « l’accentuation, le rythme et la mélodie » ou encore « le traitement du corps » (Gagnon et Dolz, 2016).
Chaque séquence organise des temps d’observation des différentes performances avant la proposition de production orale des élèves : toutes s’appuient, pour cela, sur un « texte partition5», support pédagogique présenté lors de la deuxième journée de formation, qui est sollicité en écoute et en production. Il permet en effet, comme y insiste S. Martin, de rendre les élèves acteurs, voire auteurs, permettant de « laisser les œuvres agir et de laisser les élèves agir avec elles : cela n'entraîne aucune passivité ». Dans le cas de l’enseignante N., le projet d’enseigner la dimension orale est manifesté par son souci de progressivité dans les apprentissages : dans la séance 1, elle se penche sur les procédés propres au texte (les procédés d’insistance par exemple), dans la séance 2, elle s’intéresse plutôt « aux différentes ressources orales », avant d’insister, dans un troisième temps, avec l’interprétation de J. Martial d’un extrait du Cahier du retour au pays natal, sur l’interprétation corporelle. L’enseignante B., quant à elle, est particulièrement attentive à faire cerner aux élèves les écarts entre code oral et code écrit, s’appuyant sur les travaux de De Pietro et al. (2017) : sa séance 2, nommée « les codes de l’oral », propose, à partir d’Enfant de la ville, de Grand Corps Malade, de « comprendre la syntaxe, la grammaire et la conjugaison propres à l’oral » puis de travailler sur la ponctuation spécifique de l’oral, et enfin sur les « procédés de l’oral », en consacrant un temps de réflexion sur les « différences entre lire silencieusement et lire à voix haute ».
Dans leurs choix séquentiels, les enseignantes s’écartent ainsi manifestement des pratiques traditionnelles d’enseignement de la dimension orale de la poésie et mobilisent des ressources didactiques proposées en formation pour organiser des enseignements où la dimension orale est mise en avant, conduisant d’ailleurs le texte à être abordé parfois d’abord pour sa dimension orale, avant de l’être dans une approche plus stylistique. Leurs démarches s’écartent de leurs propres habitudes et témoignent d’une créativité pédagogique : le simple fait d’appréhender les textes sans s’engager d’emblée dans des activités de compréhension ou d’analyse stylistique ou métrique (Martin, 2010) témoigne déjà d’une évolution des pratiques. De plus, A. et M. ont délibérément mis de côté l’objet « cahier » et les traces écrites de synthèse, privilégiant ainsi la production orale et les échanges, ainsi que les traces de réception ou des traces intermédiaires en vue de la performance. Surtout, le dispositif de la « balade sonore », inventée par les enseignantes suite au nourrissage théorique de leurs lectures et aux échanges en formation, est une manifestation de leur créativité professionnelle. Il conduit les élèves, en fin de séquence, à adopter une posture de créateurs-performeurs.
3.3 La prise en compte de l’activité subjective des élèves
Les enseignantes, sensibles aux travaux de Mondémé (2004), de Martin (2010) ou de Brunel et Émery-Bruneau (2016) présentés lors de la première journée de formation, ont manifesté, dans leur séquence, la volonté de stimuler le « sujet-auditeur » : il s’agit d’abord pour elles de « susciter des réactions, ouvrir des voies d’accès, pratiquer des brèches » (Mondémé, 2004, p. XX). Elles adoptent également le projet de S. Martin : « si l’on veut partir des poèmes et de l’expérience empirique de la lecture de qui que ce soit avec les poèmes, il semble nécessaire de considérer la lecture avant l’explication, l’œuvre avant le genre ou avant les critères qui la rangent, la jugent, l’identifient » (2010, p. XX). Ainsi, toute la première séance de l’enseignante B. est consacrée à stimuler « l’émotion dans un univers sonore » : l’écoute de City Life de Steve Reich se concrétise en effet à travers « une écoute sensible6 » : les élèves sont invités à donner un titre à la pièce musicale écoutée et à évoquer leurs émotions à l’issue de cette écoute. De même, à la séance 2, une écoute sensible est proposée au sein de laquelle, dans Enfant de la ville de Grand Corps Malade, les élèves sont invités à noter « les mots qui vous atteignent ». La consigne nous semble de nature à faire la place, dans l’écoute, au sujet auditeur et à ses reconfigurations personnelles du texte (Langlade, 2008 ; Mazauric et al., 2011 ; Émery-Bruneau et Brunel, 2016), de manière très accessible.
La place du sujet didactique est également essentielle dans le dispositif conçu par les enseignantes A. et M. : tout d’abord, elles offrent une occasion au sujet auditeur de s’exprimer à travers la balade sonore qu’elles considèrent comme « une expérience poétique » (annexe 1). Elles restituent d’ailleurs les réactions d’élèves, lors de la séance, soulignant ainsi que leur objectif, celui de faire naître un véritable lien, personnel et unique, entre les élèves et certains poèmes, a été atteint : « Je n’aurais jamais écouté ces musiques de moi-même madame mais j’ai bien aimé » (Lilian F.), « J’ai beaucoup aimé le fait d’être seule et de pouvoir juste écouter » (Chloé L.). Ces réactions, traces de la mise en œuvre de la séance, témoignent du fait que les œuvres ont été appréciées par des sujets sensibles, avant toute considération formelle ou réflexion sur le sens. Au-delà, les élèves ayant été menés à choisir eux-mêmes les textes qui composeront la séquence, c’est à nouveau comme sujets qu’ils sont sollicités : les enseignantes rapportent ainsi que la constitution du corpus a donné lieu à une véritable négociation au sein de la communauté de la classe : la majorité des élèves a souhaité défendre son point de vue, s’appuyant sur des arguments fondés sur les thèmes abordés (le sexisme, à travers le texte de Kerry Gladys Ntirampeba ou encore l’hommage rendu aux femmes par Grand Corps Malade), la portée historique et culturelle (par exemple, Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire) ou encore la musicalité des textes (Abd al Malik, Marc Alexandre Oho Bambé). Nous considérons que ce débat, relevant d’une activité d’appréciation esthétique (Gabathuler, 2016 ; Brunel et al., 2018) et au cours duquel les élèves ont été amenés à faire part de leurs préférences à la suite de l’écoute des poèmes, a également pu constituer une étape de formation de sujets-lecteurs de poèmes.
Ainsi, à travers ces différents choix, la préoccupation des enseignantes d’accompagner le développement des sujets, lecteurs et auditeurs, nous paraît centrale.
Discussion et conclusion
Les séquences d’enseignement qui ont fait l’objet de ces analyses attestent d’une appropriation scientifique et didactique des contenus dispensés en formation : elles sont marquées par le choix d’un corpus de poésie orale, étudié comme tel, et privilégient les œuvres contemporaines, notamment slamées. Les professeures ont également conçu un enseignement explicite de la dimension orale des œuvres étudiées, nourri scientifiquement et adossé à l’utilisation d’outils pédagogiques présentés en formation, que ce soient des typologies ou l’usage du texte partition. Enfin, elles ont ménagé une large place au sujet élève, en particulier dans sa posture d’auditeur. En cela, elles viennent confirmer les conclusions dégagées lors d’une phase précédente de la recherche (Émery-Bruneau et Brunel, 2016) : les enseignants, lorsqu’ils en prennent conscience, parviennent à créer de nombreuses activités d’écoute fructueuses et variées, prévoyant à la fois des moments d’écoute sensible ouverts à la reconfiguration subjective et des dispositifs d’écoute outillée, visant l’étude de ressources spécifiques de la poésie orale. Bien entendu, nos résultats, tout à fait exploratoires, ne s’appuient que sur un très faible échantillon et se fondent, pour cet article, uniquement sur les documents professionnels conçus par les enseignants. Il nous faudra, par la suite, confronter ce premier recueil de données aux entretiens qui ont été menés et, dans la poursuite de la recherche, comparer ces deux ensembles à l’analyse des pratiques effectives d’enseignement. Ceci est prévu pour l’année 2 de la recherche-action-formation.
Pour autant, et à partir des premiers résultats dont nous disposons, nous pouvons identifier certains bénéfices de la recherche-action-formation : celle-ci nous paraît susceptible de faciliter, en rendant les formés plus acteurs, en les rendant « formacteurs », le transfert d’expériences et de savoirs vécus dans le temps de formation en contexte d’enseignement. S’il paraît logique qu’un tel dispositif de formation s’adresse à des professeurs volontaires, le cas présenté montre que cette condition peut être nuancée : bien qu’ils aient effectivement dû s’inscrire sur la thématique de la poésie orale, les enseignants n’étaient pas informés préalablement du type de formation dont ils allaient bénéficier, et se sont pourtant montrés très impliqués. Le besoin identifié sur le plan notionnel les a poussés à s’engager dans un type de formation spécifique et exigeant. Cette réalité peut permettre d’élargir, sans doute, la conception d’une recherche-action-formation qui ne pourrait concerner qu’un tout petit nombre d’enseignants déjà favorables au travail collaboratif avec les chercheurs.
Ajoutons que le modèle de la recherche-action-formation propose aux enseignants d’explorer eux-mêmes de nouvelles formes didactiques qui puissent amoindrir les limites rencontrées préalablement dans les premières phases de recherche. Le processus itératif propre à la recherche-design (Basque, 2015) s’effectue alors dans une forme de relais, les enseignants expérimentateurs bénéficiant de la formation sur l’année en cours, s’appuyant sur les avancées d’une phase de recherche collaborative antérieure et préparant le processus itératif suivant. Dès lors, le dispositif de formation semble également favoriser la créativité professionnelle des sujets formés : une forme d’amalgame entre apports issus de la formation et désir personnel de changement semble en effet se concrétiser dans des expériences effectives de mise en œuvre, que ce soit au niveau des choix de corpus ou des dispositifs conçus. Nous pouvons parler, à travers cette intégration des savoirs théoriques dans la pratique d’enseignement, de « substratification expérientielle », au sens où l’emploient Dastugue et Chalies (2020).
La longueur de la formation, dispensée sur plusieurs mois de l’année, ainsi que le modèle horizontal qu’elle prône, nous semblent constituer des leviers de la transformation professionnelle. En effet, les professeures expliquent qu’elles ont osé développer des pratiques nouvelles également parce qu’elles étaient en mesure d’en justifier l’intérêt et la légitimité au regard des contenus dispensés en formation et parce qu’elles étaient soutenues, sur le plan scientifique, dans leur projet. Il nous semble, à cet égard, que le modèle de la recherche-action-formation peut constituer un levier de la transformation des pratiques d’enseignement de la poésie et peut également irriguer de manière productive la recherche dans ce domaine. Dans notre cas, le dispositif de la balade sonore pourrait faire l’objet d’attentions dans un nouveau projet d’expérimentation en recherche.