« La poésie est décidément école de vie et d’humanité »
Jean-Pierre Siméon1
Nos recherches s’intéressent aux horizons didactiques ouverts par les formes contemporaines de poésie « vive » : par cet adjectif, nous entendons désigner les poésies incarnées sur scène, performées et, à ce titre, hors-livre, littéralement « dé-livrées » (Hirschi et al., 2017), soit évadées de la page, échappées du cadre livresque. Nous entendons ici, par « vive », à l’instar de Paul Ricœur qui applique cet adjectif à la métaphore, la métaphore vive permettant de percevoir la « résistance des mots », à la manière d’une « aurore de paroles » (Ricœur, 1975, p. 272). Les diverses recherches et expérimentations menées sur le sujet des poésies performées relevant notamment du slam (Vorger, 2012), dans des contextes d’enseignement variés, de l’école élémentaire à l’Université (en Français Langue Étrangère et Seconde), en passant par les espaces périscolaires, nous ont confortée dans l’idée que cette approche d’une poésie vive ouvre des horizons didactiques féconds. De fait, la poésie incarnée, éprouvée, expérimentée in vivo, apparaît plus accessible, sensible voire tangible, permettant ainsi de renouveler les représentations attachées à cet objet. Dans cet article, nous aborderons ces représentations à travers une enquête menée en ligne dont nous synthétiserons les résultats, en écho à des témoignages de poètes contemporains. Afin de constituer un corpus adéquat aux besoins et attentes révélées par l’enquête, nous explorerons un programme vidéo intitulé « Appelle-moi poésie »2. L’analyse de plusieurs clips de ce programme nous permettra d’envisager la façon dont un tel corpus, mobilisé en atelier in abstentia3, peut être introduit pour mieux favoriser l’entrée dans une poésie vive.
1. Articuler corps individuel et corps social : représentations autour de l’atelier
Nous commencerons ici par rendre compte d’une enquête menée en collaboration avec Katia Bouchoueva, poétesse et médiatrice de la poésie avec laquelle nous avons co-écrit l’ouvrage Jeux de slam (Abry et al., 2016) sur le dispositif Atelier, envisagé avec un grand « A »4. Cette enquête a été réalisée dans le cadre de mon HDR, et visait à dresser un état des lieux des représentations et attentes autour de ce dispositif, afin de mieux en saisir les potentialités appliquées à l’enseignement de la poésie – disons plutôt à l’expérience de création poétique initiée dans le cadre d’un atelier5. De fait, dans notre thèse, nous nous étions livrée à une enquête sommaire à partir du terme inducteur « Slam », sous l’intitulé « Le slam en un mot ». Concernant la notion d’Atelier, nous souhaitions nous orienter vers des réponses plus précises qu’à partir d’un seul terme inducteur invitant à des associations de mots (Moliner et al., 2002). Le graphique ci-dessous (fig. 1) rend compte d’une question préliminaire visant à faire émerger les types d’ateliers les plus fréquents, en l’occurrence : les ateliers dits d’écriture6 qui, en réalité, font souvent interagir le dire-lire-écrire.
1.2. Un dispositif original
Les premières questions de l’enquête dont nous rapportons ici les résultats visaient à faire émerger les spécificités du dispositif Atelier en tant que tel : en quoi se différencie-t-il, dans les représentations et les attentes, d’une part d’autres dispositifs d’enseignement plus « académiques » tels que les cours intitulés « TP », et d’autre part d’autres dispositifs nécessitant généralement l’intervention d’un·e artiste, les workshop et master class (fig. 2) ? D’après les graphiques ci-dessous, il s’en distingue bien pour près de 94 % des répondant·e·s et s’apparente à un workshop pour environ un tiers d’entre eux-elles.
S’ils s’apparentent à un workshop, les ateliers se distinguent pour 90 % des répondant·e·s des cours-séminaires et pour près de 80 % des cours de type TP, avec lesquels ils/elles partagent néanmoins les enjeux « pratiques », ce terme étant l’un des mots-clés les plus fréquemment cités pour mieux appréhender les représentations autour de cette notion d’atelier. C’est essentiellement l’évaluation qui distingue lesdits ateliers des cours de type TP : il s’agit, lors d’un atelier, de « créer ensemble, en liberté, en dehors du cadre » selon une réponse proposée. Une autre personne évoque en outre la volonté de « rupture » par rapport aux cours habituels, une « respiration pour les élèves ». C’est bien de souffle qu’il s’agit ici, de vie, et de rythme.
La question des postures (Morel et al., 2015) est évoquée d’emblée, anticipant l’une de nos questions ultérieures (fig. 3) : selon la plupart des réponses, la posture de l’enseignant·e ou animateur·trice y serait différente, ainsi que, dans une moindre mesure, celle des participant·e·s. Le changement de posture est en effet nécessaire pour 90 % des répondant·e·s concernant l’enseignant, 80 % en ce qui concerne les apprenants. Selon l’un·e d’entre eux/elles, il n’y aurait pas, en atelier, le même rapport entre sachant et passifs, l’enseignant n’étant pas « au-dessus », en surplomb ; les participants seraient ainsi « acteurs (et non spectateurs) » et les interactions en seraient favorisées. Il est aussi question d’engagement (Boch et al., 20218), selon le relevé de mots-clés : participation, expérimentation, collaboration, collectif, création, créativité, bienveillance, plaisir, partage, pratique sont les plus récurrents.
1.2. Une communauté active de création
On pourrait ainsi résumer, en écho à notre règle des « 4 C » appliquée à la néologie9, celle des « 4 P » pour l’atelier, en didactique : Participation, Plaisir, Partage, Pratique. La figure ci-après (4) détaille les points les plus saillants qui caractérisent, d’après les répondant·e·s, un atelier :
D’après les réponses, il s’agit essentiellement de faire œuvre commune, autour d’une pratique créative qui implique un moment de partage et d’expérimentation. Des mots comme « bidouillage » traduisent l’aspect artisanal : il s’agit de « bricoler » une matière d’une certaine manière, de « fabriquer » (le terme est cité aussi dans les mots-clés) ensemble, de mettre la main à la « pâte-mots », « patmot » selon la formule de Christophe Tarkos, de la modeler. C’est ainsi la vision d’une langue conçue dans sa matérialité et sa vivacité qui permet d’accéder à la dimension poétique. Selon Tarkos : « Ma langue vit, est vivante, est poétique, est pleine de mots10 ». Voilà qui rejoint notre conception de l’atelier comme un lieu où l’engagement, mais aussi l’(inter)agir, le faire, le modelage de cette matière vivante, vibrante et débordante sont mis en avant (Fabulet et Vorger, 2021). « La poésie n’est jamais tant chez elle, rappelle Nathalie Brillant Rannou en écho à Tarkos, que dans la pâte sonore et rythmique des mots, matérialité qui s’épanouit dans son actualisation orale » (2016, p. 21).
Dans les réponses apportées à notre enquête, il est aussi question d’une temporalité différente, d’un nouveau rythme, et d’un laboratoire où expérimenter, explorer les possibles. La démarche ludique, le plaisir (fig. 4) apparaissent comme majeurs (73 %) ainsi que « l’ouverture à la créativité » (71 %) et la « bienveillance supposée » qui permet l’expression libre des participants (63 %). La désacralisation est évoquée à plusieurs reprises dans les réponses, pour mieux dépasser « la peur de ne pas être à la (h)auteur » : « Par l'expérimentation de l'écriture, désacralisation du lien au livre. L'écrivain, c'est celui qui écrit avec nous, qui a l'air comme nous. » (enquête citée, nous soulignons). Voilà qui fait écho aux mots de la poétesse Édith Azam évoquant le geste poétique comme une évidence, relevant du naturel voire du corporel : « le poème, c’est tout petit le poème. C’est un geste courant, un geste comme on respire. Le poème est-il un poumon ? Et pourquoi pas, hein, pourquoi pas… Un poème, un poème… c’est un air quotidien, une chose ordinaire… » (2018, nous soulignons).
À travers cette notion d’Atelier, ce qui se renouvelle, se revivifie, c’est bien le lien au livre et, partant, à la poésie, voire à la création en général. Le « nous » qui émerge résume l’essentiel : la communauté de création rendue possible par le dispositif Atelier, le « cercle d’écriture » tel que l’a conceptualisé Anne-Marie Petitjean dans une analyse comparative des pratiques d’écriture créative (2014) – ou d’écridire – qui s’ensuit. C’est précisément ce partage, rendu possible par le dispositif, qu’Édith Azam, animant de nombreux ateliers, nomme « la partition des silences » : « Je veux dire par là que ce qui tient, nous tient ensemble, se trouve dans… la partition des silences. Et pour le coup, cette partition est jouée par l’ensemble des présences » (2018). Chez cette poétesse, c’est aussi dans les points de suspension que les choses se nouent – se jouent : « la poésie déjoue la langue, s’enjoue et se joue d’elle, la détournant de ses fonctions habituelles » (ibid.).
1.3 Des gestes déliés, des corps reliés
Souvent cité dans les réponses, le slam, en tant que dispositif de poésie scénique, se distingue de la poésie dans la représentation – plus accessible, plus ludique – que l’on s’en fait, notamment pour les jeunes apprenants. Le recours au corps apparaît alors comme un moyen de rendre la poésie plus accessible, tangible, « à portée de main » selon l’un·e des répondant·e·s :
Peut-être que dans poésie, il y a une attente de la perfection, de la beauté... un peu trop de sacralisation, qui peuvent parfois effrayer. On peut penser « ce n'est pas pour moi ». J'ai l'impression que dès qu'on engage le corps, les sensations […], on sort de l'intellect et on se fait plaisir, donc on a envie.
À notre question conclusive de l’enquête – « ce que l’atelier permet de relier » –, certaines réponses s’avèrent particulièrement éloquentes. Il s’agit de relier les gens, les forces en présence, de créer du lien autour d’une création partagée, mais aussi de mettre en dialogue les types de sensibilités et de créativités en jeu (scolaire/artistique), de réconcilier l’école et le plaisir, les langues et les corps : relier
les gestes et les pensées, les mots dans le corps et le corps des mots, la théorie et la pratique, l'école au dehors, le français dans la vie, l'oral et l'écrit, la feuille blanche et la scène, le trac et la jouissance, le sérieux et l'inutile, le dire et l'écrire, les moi, les toi, les jeux, les nous, les on....
énumère, en une forme de liste à la Prévert, l’un·e des répondant·e·s.
Au vu de l’ensemble de ces réponses, c’est bien d’une puissance et d’une vivacité collective qu’il s’agit de faire l’expérience en atelier, de l’émergence d’une dynamique créative et collective qui repose ainsi sur les corps individuels ET sur le corps du groupe : faire corps autour d’un projet commun, d’une création commune qui permet d’unir les forces vives. Pour le dire avec les mots de Tarkos, qui appréhende la langue poétique comme un corps – en écho à ceux d’Édith Azam évoquant le poème en poumon :
Ma langue est poétique par tous ses pores, par tous ses membres le long de toute sa sublime sensibilité révélée par ses mots magiques, tous ses mots, le moindre de ses mots si beaux, si purs, si musicaux, si heureux, les mots de ma langue sont délicieusement poétiques (2008, p. 52).
C’est donc le mot « corps » qui semble le mieux résumer les enjeux d’un atelier selon les résultats obtenus à l’issue de cette enquête, d’où l’idée de mettre du corps à l’ouvrage poétique, pour mieux porter l’enseignement d’une poésie vive. Du corps au corpus, il n’y a qu’un pas, une syllabe, et nous nous sommes donc mises en quête d’un corpus qui permette, en l’absence de possibilité d’inviter un·e poète·sse en classe (ou en complément à son intervention) de donner corps, dans l’enseignement, à la représentation de la poésie ressortant de notre enquête.
2. Quel corpus pour une poésie « par corps » ?
2.1. Le programme « Appelle-moi poésie »
Le corpus auquel nous nous intéressons ici projette d’offrir un panorama de la « poésie vivante » contemporaine. Il émane d’une association créée en 2014 et basée à Nantes, dont l’objectif revendiqué est de « réenchanter la façon de voir et d’écouter la poésie », pour mieux l’ouvrir « à un large public11 ». Dans cette perspective, il s’agit de lui « donner vie […] de façon ludique, inspirante, inattendue. » D’où un programme vidéo de performances filmées qui se présente comme une série poétique, sous forme de « saisons », chacune réunissant « 20 poètes, 10 femmes et 10 hommes, choisis pour leur qualité d’écriture mais aussi pour leur talent de lecteur-performeur-interprète ». Le support audiovisuel s’accompagne d’une action sur le terrain pour mieux « partager avec différents publics la force de la poésie » (site mentionné). À ce jour, il existe trois saisons, ce corpus de poésie vivante reflétant la vitalité de la poésie actuelle, certain·e·s poètes relevant du rap12 ou encore de la communauté slam, ayant participé ou animé des scènes slam, à l’instar de Katia Bouchoueva ou encore de Camille Case.
2.2. L’exemple de Pierre Soletti
Nous avons choisi d’approfondir la performance filmée pour « Appelle-moi poésie » du poème de Pierre Soletti intitulé Ton sourire est absolu, afin de rendre compte du rôle des gestes et postures dans la signifiance poétique. Le support annexé à cet article a été distribué lors d’une journée de l’école doctorale à l’UNIL consacrée au geste13, les participants ayant pour consigne d’annoter le corpus de photos extraites du clip en repérant les gestes clés, à la façon d’une partition. Or le fait de distribuer des images – et non le texte écrit – change totalement l’horizon d’écoute (Vorger, 2012) à l’orée du poème, orientant vers une écoute des corps, pleine et entière. Dans ce clip poétique, le mouvement des mains qui s’ouvrent devant les yeux du poète-performeur nous apparaît emblématique d’une ouverture des possibles sémantiques à travers le dire, à travers la mise en voix et en corps, en espace et en images du poème. Comme nous l’a écrit Pierre Soletti, les frontières entre les mots sont mobiles : « Je », « jeûne » ou « jeune » ? « Je n’ai » ou « jeûner » ? (voir en annexe)
3. Comment travailler la corporéité en atelier ? La minute (chorégraphiée) de poésie
3.1. Écouter par corps
Le dispositif « La Minute de poésie » peut prendre des formes différentes dans les classes, de la maternelle au collège. Sur le site, « Recours au poème », nous avons trouvé la formule d’une parole qui s’efface au profit d’une voix :
Dire, offrir la poésie, est une affaire d’effacement, un don qui doit être pur de toute présence. Il semble que « La minute de poésie » soit le lieu d’une parole où auteurs et poètes s’effacent au profit d’une voix, celle du poème. Bravo pour cette chaîne qui a presque dix années d’existence14.
Mais pourquoi rechercher sciemment cet effacement ? La poésie ne saurait-elle être, précisément, une affaire non seulement de parole mais de présent, s’agissant d’offrir une présence poétique au monde ? Voilà donc un autre « P » à ajouter aux « piliers de l’atelier » (voir supra).
Dans la perspective qui est la nôtre, celle d’offrir une initiation incarnée à l’expérience poétique, la série « Appelle-moi poésie » apparaît donc comme une entrée pertinente dans la matière poétique. Celle des mots, mais aussi des voix et des corps qui portent cette parole. Ainsi, pourra-t-on se livrer à une écoute d’un poème de la série, cette écoute devenant active, voire créative, se prêtant à une imprégnation « par corps », une sorte de « bain de poème ». Celui de Pierre Soletti peut par exemple donner lieu à un repérage des gestes et postures qui seront analysés dans leur fonction « collyrique15 », en l’annotant à la manière d’une partition (voir supra, et en annexe). Dans un deuxième temps, étudiant·e·s, élèves ou apprenant·e·s peuvent déambuler voire gestualiser le poème qu’ils entendent. La déambulation permet ainsi d’éprouver le rythme du poème : « Déambule alors sur tous les tons » écrit Katia Bouchoueva (2009, p. 64). Quant à Fred Griot, il rejoint cette idée d’une « déambulation » en insistant sur l’importance de la marche dans ce qu’il appelle « la parole portée » pour cheminer vers le sens :
Oui la marche, le rythme (cardiaque, circulation, soufflation, locomotion), on ne peut parler sans ce corps qui bat, palpite, a un rythme de base très marqué.
Quant au sens, toujours on le propose, les autres en disposent. (Brillant-Rannou et al., 2016)
Certains « épisodes » de la série se prêtent particulièrement à cette approche chorégraphiée, tels ceux de Katia Bouchoueva ou encore de Pauline Picot16. De fait, le poème À l’heure qu’il sera donne lieu à une interprétation chorégraphiée de la poétesse et autrice de théâtre :
Le corps, thématisé dans ce poème, accompagnera tout naturellement sa découverte, permettant d’accéder à un au-delà ou en deçà du langage, voire à un corps-langage pour le dire avec les mots d’Olivier Mouginot, en écho à Serge Martin, tout en faisant corps, au sein d’un collectif : « le poème court devant. Et l’air nous aide à le suivre » (Serge Ritman, cité dans Mouginot, 2020).
3.2. Laisser libre cours : réécrire et illustrer un extrait de poème pour entrer en poésie
Avec de jeunes enfants (CP-CE1), la « minute poésie », dispositif précédemment décrit, pourra prendre une autre forme, comme en témoigne ce travail mené par Cathy Ko, alias « Maîtresse poêt poêt ». À partir d’un extrait du poème de Katia Bouchoueva17, les élèves réécrivent un fragment et l’illustrent, ce qui témoigne ici de leur appropriation de la portée poétique de la métaphore de la fleur :
Le dispositif est simple, et rejoint notre idée d’une matière poétique à (re)modeler, se prêtant à toutes les explorations et manipulations, le dessin donnant corps à leurs mots :
Je leur dis juste qu'ils vont explorer leur imagination. Je copie la phrase au tableau, on la lit et on explique les mots difficiles. Puis sur leur ardoise, soit ils écrivent ce qu'ils veulent, soit ils recopient la phrase et utilisent la méthode DRAS (déplacer, rajouter, ajouter, supprimer)18.
Les enfants expérimentent ainsi le pouvoir incantatoire du poème comme « formule magique pour réveiller les mo(r)ts », selon la formule d’Armand le poète (2008, fig. 9) :
Cathy Ko résume en ces termes l’expérience de l’atelier dans son recueil Maîtresse Poêt poêt :
Hier, un poète est venu dans ma classe
Il a soufflé sur les enfants
Il a soufflé sur les enfants
Et les enfants se sont
Tenvolés
Tenvolés
Par la fenêtre
Ainsi le·la poète·sse invité·e – allégé·e de son « e » et enrichi d’un accent circonflexe, comme chez Armand (ci-dessus), – apparaît-il·elle à la fois comme le loup soufflant sur la maison de chacun des trois petits cochons, faisant trembler les représentations figées autour de la poésie (i. e. les pratiques traditionnelles liées par exemple à la récitation très « scolaire »), et celui qui anime, littéralement, donnant un souffle, une respiration, et des ailes à la créativité des élèves, potentiellement libérée des contraintes de la norme écrite par le recours à un corpus vidéo, bousculant les frontières des mots et des codes oral/écrit. Il s’agit, par là-même, d’expérimenter une poésie vive, en mouvement : « Ce que j’entends par la vie : que l’écriture devienne une forme de vie, mouvement d’une parole, invention du sujet par son langage et d’un langage par un sujet inséparablement » (Meschonnic, 2006, p. 126). C’est précisément, me semble-t-il, ce qu’entend aussi Fabienne Swiatly (2015) dans son prologue au numéro de la revue VA ! sur les résidences d’écriture. On y retrouve les éléments ressortant de notre enquête : le besoin d’écrire « ensemble », de donner envie et confiance dans le pouvoir des mots. De faire rimer la poésie avec la vie. D’accepter l’erreur ou l’errance créative. De donner libre corps à ses mots et de faire corps. Ne s’agit-il pas d’entrer ainsi dans une forme de danse avec les mots ? Une rési’danse donc. L’image que file Fabienne Swiatly renvoie à cette position debout : se mettre debout, tenir debout, « comme l’enfant qui apprend à marcher ». Poésie debout donc, qui s’élabore « par corps » (Fabulet et Vorger, 2021, p. 123), en avançant pas à pas, clopin-clopant.
Vers une poésie vive, vive la poésie !
Notre enjeu n’est autre que de concilier la Rime et la Vie pour le dire avec les mots de Meschonnic (2006), soit de faire découvrir, éprouver, expérimenter par corps une poésie vivante. Si, hier encore selon Magali Brunel, les poète·sse·s vivant·e·s étaient les grand·e·s absent·e·s de l’enseignement de la poésie au collège, ils/elles semblent aujourd’hui avoir gagné en présence dans les classes, a minima en présence numérique, donnant corps aux propositions d’écriture favorisant « l’exercice d’une certaine liberté créatrice », afin « d’engager une rencontre avec la poésie » (Brunel, 2016, p. 86). Il s’agit, selon les mots de Nathalie Brillant Rannou, de « développer une didactique accueillante » qui rejoint le projet original du slam, ouvrant la porte (la scène) à qui veut prendre la parole :
une didactique de la « main tendue » pour reprendre l’image de Celan : main tendue aux œuvres nouvelles, main tendue aux élèves et à leur subjectivité, main tendue, enfin, aux enseignant·e·s avec lesquel·e·s le partage de convictions fortes, de postulats littéraires et méthodologiques clairs et de propositions concrètes est indispensable. (2016, p. 13).