Poèmepère
nom du père grand ouvert
mais tu ne vois qu’une petite chose
ratatinée légitime dans sa dernière
petite flamme bleue
il attend patiemment
le seul œil dont il dispose
est transparent
il laisse tomber
la page extrême de la paupière
le babil le fatigue
il ne lui reste
qu’une question
vulnérable comme un soupir
un vieux fauteuil Chesterfield
la canne gravée
arrachée au chêne du monde
son rapt annonce déjà la fin des temps
(après lui c’est à toi
et chaque mort annonce la mort en soi)
il ne prie plus mais participe
à la petite comédie de sa propre fin
sans crier gare il s’en va
prend son temps goûte son petit verre
d’alcool doux de morphine
de pli en pli d’échine en échine
il déborde sur l’au-delà
l’œil seul vif à demi-fermé
pour poser cette dernière question
« veilleur où en est la nuit »
les lames de l’enfance remontent
traversent les vallons de l’eau grasse
petite pierre creuse aurais-tu oublié
jusqu’à quel point la mémoire s’efface
n’offre plus qu’une paroi lisse
même les crocs de la rage ne s’y agrippent
petite pierre couverte de mousse au fond du puits
n’arrête pas ton regard sur ses haillons
fuis le feu fuis la guerre serre les dents
quand murmurent les Parques
petite pierre terrée dans tes acquis
ni ta voix tamisée ni ton bon vouloir
lèvent le voile sur la chambre du mourant
ici ici ici
dit-il la bouche clouée
ce n’est plus lui qui parle mais la vie entière
la vie corps la vie matière
ici dit-il
ce qui reste est une haleine
un remord
un devoir charbonneux
il pose son oreille sur l’écran
ne dit plus que bonsoir
d’un autre matin il attend l’appel
passif brutal il évite le tumulte
d’un adieu d’opéra d’une chute
il creuse son petit trou
face à face avec le peu qui reste
même l’organe défaillit
le visage de Méduse est ton miroir
et la mort ne se raconte pas
lui
toi
la dame noire se dégage
et s’en va
notre mort étant la seule qui existe
regarder ce visage
visage de père
qui cède à l’agonie
notre mort étant la seule qui existe
dépourvue de chair et de pensée
ne te retourne pas